DE ROUILLE ET D’OS
Il n’y a que le premier pas qui coûte
Jacques Audiard et le scénariste du superbe Un prophète, Thomas Bidegain, récidivent. Adaptant deux courtes nouvelles de l’auteur canadien Craig Davidson, ils créent un univers homogène où les laissés-pour-compte ont le beau rôle. Mais leurs personnages en bavent littéralement!
D’un côté, un père monoparental volage et impulsif (la révélation de Bullhead, Matthias Schoenaerts, film mis en nomination comme meilleure production étrangère aux Academy awards 2012 en passant!) et une dresseuse d’épaulard victime d’un terrible accident lui privant de ses deux jambes (magnifique Marion Cotillard) qui se croiseront pour mieux se supporter, nous font la preuve que la vie a de ses surprises et que Jacques Audiard est un poète avec une caméra. La facture de De rouille et d’os est simple, mais grâce à la touchante histoire et aux exceptionnelles performances du couple principal, elle transcende l’imaginaire pour créer une mise en abyme de notre propre existence. Deux parias nous font la morale que la Vie vaut le coup d’être vécu, malgré les sombres et durs obstacles qui se trouvent sur le chemin.
Audiard, en procédant uniformément, c’est-à-dire en présentant sans compromis deux caractères que tout oppose, mais qui se verront l’un dans l’autre par pur hasard, donne une ode au destin et ouvre la porte du cœur qui saura toucher le spectateur. « Toucher » est un euphémisme tant les deux acteurs sont investis de leur rôle. Schoenaerts et Cotillard sont carrément en symbiose et viennent frapper de plein fouet nos tripes par leur jeu nuancé, brisé par les émotions, mais où pointe la lumière d’un jour meilleur. Ils sont tout simplement magnifiques! C’est en grande partie grâce à eux que De rouille et d’os s’élève au-dessus de la manne cinématographique. Car en soi, la production présente la réalité dans un cadre plutôt rigide et rarement (tant mieux, car les artisans sont intelligemment conceptuels), ils ne dérogeront par la fantaisie, tel les flashbacks flous de l’accident avec « la » bête.
Osant supprimer les jambes de son actrice, Audiard lance un défi que Marion Cotillard relève avec brio. De coquille vide à quatre membres, puis d’ombre sur roues, son personnage avance lentement et trouve sa nouvelle voie chez un homme « libre » qui, lui, avance sans lendemain, prétextant l’autodidactisme, mais ne sachant pas réellement comment vivre sa vie avec son petit double (touchant Armand Verdure). Ils seront les béquilles l’un de l’autre, se découvrant eux-mêmes à travers l’être meurtri qui les oppose. Audiard et Thomas Bidegain ont l’Histoire d’amour (avec un grand « H ») qui perdure depuis toujours couchée sur papier et ils parviennent à la transposer à nu, sans fioriture, sur pellicule.
De tripes et de cœur, voilà le constat de cette superbe production française qui se fraiera sûrement un chemin vers de glorieux jours (C’est déjà commencé, remportant par-ci, par-là quelques prix dans certains festivals.) Je ne lui souhaite pas moins. J’ai d’ailleurs le sentiment que les Césars et les Oscars ne les oublieront pas…
De rouille et d’os est un drame d’une sobriété déroutante, interprétés par deux acteurs touchés par la grâce. Ça passe en un éclair, mais ça frappe de plein fouet! Poignant jusqu’à la fin. 4/5 minimum par François Gauthier cinemascope@deltar.net