Critique de
FLAGS OF OUR FATHERS/MÉMOIRES DE NOS PÈRES
Le tandem Eastwood/Haggis récidive
Aidé de William Browles à l’adaptation du livre de James Bradley (fils d’un des héros), Paul Haggis (Crash; Million dollar baby) a pondu une histoire nuancée, qui privilégie les rapports humains avec la guerre, la démocratie, l’héroïsme. Quant à Clint Eastwood (Unforgiven; Mystic river), encore une fois, il réalise un bijou de sobriété, se concentrant sur le point de vue des protagonistes face à leur pays. Une critique qui se veut objective, mais souvent acerbe des décisions gouvernementales.
Été 1945, Iwo Jima est un point stratégique dans la guerre que se livre les États-unis au Japon, une bataille qui servira de « remontant » pour le peuple américain, qui ne croit plus en leurs troupes. De jeunes et insouciants soldats sont envoyés par milliers sur l’île pour la conquérir, un combat qui durera une trentaine de jours. Les cinq premières journées seront cruciales pour l’armée, qui réussira à déloger les Japonais du mont Suribachi. Un bataillon sera envoyé pour lever le drapeau patriotique, LA fameuse photo!! Et bien non! Quelques minutes plus tard, suite à une décision douteuse, le drapeau sera remplacé par un deuxième qui mènera à la photographie qui fera légende. Pour relever les troupes et la patrie en manque de moral, l’administration Roosevelt rapatriera trois des six soldats survivants photographiés, qui serviront à amasser des fonds pour la poursuite d’une guerre qui devient de plus en plus dispendieuse. Ils seront les malencontreuses marionnettes d’un gouvernement propagandiste, mais n’auront jamais de soutien moral pour leur effort individuel. Pour des milliers de soldats américains, la Deuxième Guerre Mondiale sera un enfer inoubliable, n’ayant servi que de chair à canon.
Le traitement qu’a fait Eastwood de la Deuxième Guerre n’est ni patriotique, ni mesquin. Il s’est positionné dans le milieu, tentant de montrer les deux côtés d’une médaille peu glorieuse de son pays. Il dépeint avec tact les sentiments qu’ont dû ressentir les trois soldats rapatriés. Ce qui dérange dans son cheminement, c’est qu’il ne veut privilégier un soldat plus qu’un autre et cela amène un manque de profondeur face au point de vue du cinéaste. Cette objectivité crée une distance avec le spectateur et l’on regarde la charrette passer sans vraiment se sentir concerné. L’idée de tourner la plupart des scènes dans une teinte de gris (la couleur de la nuance) aide beaucoup à véhiculer l’émotion, mais à trop vouloir diriger l’opinion, même subtilement, on ne voit que de belles images et on décroche du propos. Reste que les scènes navales et le débarquement sont d’un grandiose et anime une certaine flamme. Par contre, l’utilisation, tout de suite après, de la fusillade des Japonais sur les Américains et des chars d’assaut piétinant les corps ramène vite sur terre, un moyen parmi tant d’autres qu’Eastwood prendra pour équilibrer le balancier (En plus de tourner, pour l’année 2007, la version japonaise des mêmes événements).
Mais le point fort est encore une fois, outre l’effacement du réalisateur derrière son sujet, le scénario. Rien n’est futile. Chaque mot de Browles et Haggis a sa portée, chaque idée a sa charge émotive. Ce qui fait défaut, contrairement aux précédentes œuvres d’Eastwood, est la distribution qui porte ces mots. L’expérience du vieux routier se fait toujours sentir, mais les comédiens ne sont pas tous au même diapason. Peut-être est-ce à cause du stéréotype inculqué à chaque personnage ou tout simplement parce qu’ils sont trop démonstratifs, reste que certains acteurs (comme Jesse Bradford) semblent souvent sur une autre planète. Pour ce qui est de Ryan Philippe, ses frêles épaules ont su supporter le poids d’un tel défi et son jeu est honnête. Quant à Adam Beach, j’ai eu la désagréable impression qu’il comblait le rôle parce qu’il manquait d’Indiens aux auditions. Son jeu est en dents de scie, ne montrant plus qu’il ne le ressent.
Flags of our fathers est un bon film de guerre qui montre les dessous sournois d’un patriotisme outrancier et les retombées psychologiques sur une jeunesse naïve et délaissée. Partir d’une photo légendaire et déconstruire celle ci est tout à l’honneur de Clint Eastwood et de Paul Haggis, mais un certain dépouillement quant au récit aurait été plus utile à la compréhension de l’histoire, malgré l’utilisation cohérente de nombreux flashbacks. C’est un film superbe, qui s’élève à nouveau au-dessus de la mêlée, mais qui aurait mérité un réajustement quant à l’adaptation du roman, pour amener un attachement émotionnel plus méritoire, que de simplement dire « C’est du Eastwood! C’est toujours sublime! » Un acquis? 3.5/5 par François Gauthier cinemascope@deltar.net