Critique de

SWEENEY TODD, THE DEMON BARBER OF FLEET STREET/SWEENEY TODD, LE DIABOLIQUE BARBIER DE FLEET STREET

De la grande mélomanie!

Machiavélique! Le dernier bébé de Tim Burton pourrait en rebuter plus d’un. En fait, il va SÛREMENT en rebuter plus d’un, car voir un film d’horreur chanté, ce n’est pas, comme qui dirait, une sinécure! Il n’y avait que le célèbre échevelé, réalisateur de Big fish, Mars attacks!, Edward Scissorhands et Ed Wood, pour porter à l’écran une « comédie musicale » de Stephen Sondheim, où un barbier, injustement emprisonné, se venge de tout ce qui respire!! Sa signature est là! Décors gothiques, atmosphère lugubre (Londres, début du siècle), personnages théâtraux, tout respire la noirceur burtonesque!

Sixième collaboration entre Burton et Johnny Depp, ces retrouvailles méritent le respect, les deux artistes poussant encore plus loin les limites de leurs talents respectifs. Car voir Depp d’une blancheur cadavérique, s’enfoncer dans une folie meurtrière, tout en chantant son désarroi d’avoir perdu sa douce, c’est un risque énorme pour un acteur. Mais rien ne semble hors de portée pour monsieur Vanessa Paradis, surtout lorsqu’il est dirigé par son alter ego. Ses meilleurs films sont sans contredit ceux qu’il a tourné ave Burton! Ici, son rôle de barbier vengeur est une véritable descente aux enfers de la folie, joué avec tact et retenue par l’acteur, minimisant les mimiques grossières qui auraient été faciles à utiliser pour alléger le sujet, mais les dosant suffisamment pour agrémenter le film d’un soupçon de comédie. D’ailleurs, l’utilisation du comédien Sacha Baron Cohen en rival de Sweeney Todd est un coup de chapeau. La capacité de Cohen de mélanger moquerie et drame fait rapidement oublier qu’il est l’interprète du célèbre Borat! Quant à Helena Bonham Carter, la complicité qu’elle a créée avec Johnny Depp aurait pu rendre jaloux son mari de réalisateur (Mais entre copains, j’imagine qu’ils peuvent tout se partager??!! En passant, si vous n’étiez pas encore au courant, Carter EST la femme de Burton! Ouh! Scandale!) Elle est magnifique en pâtissière ratée, pauvre fille éperdue d’amour pour le meurtrier, grain de sable dans l’engrenage machiavélique d’un complot beaucoup trop complexe pour elle!

D’ailleurs, parlons-en de l’histoire, adaptée avec brio par John Logan! C’est une vraie tragédie shakespearienne, un drame à la Hamlet, où tous les participants ont leurs torts et où personne ne mérite vraiment la sympathie. Le tout débute à Londres, à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée de Sweeney Todd (Depp, toujours excellent!) avec, comme dessein, d’éliminer ses tortionnaires à cause d’une injustice d’il y a quinze ans. Il fut emprisonné par le juge Turpin (Alan Rickman, tordu!), parce que celui-ci aimait la douce du jeune barbier. Todd retourne donc sur les lieux du faux crime, ruminer ses souvenirs et tombe sur une pâtissière, madame Lovett (Carter), qui lui apprend la mort de sa belle. Double drame!! Elle lui offre son ancien logis et ils combinent ensemble la disparition des accusés (comprenant Beadle Bamford, joué par Timothy Spall). Le complot s’élargit à la population, le barbier, rendu fou, en voulant au monde entier. Quant aux cadavres, ils seront cuisinés et vendus incognito à la populace anglaise. Histoire tordue, que je vous disais! Mais Todd apprend que sa fille est sous le joug du juge et voudrait bien la revoir. Il chapeaute donc une rencontre entre lui, le juge et le prétendant de sa progéniture (Jamie Campbell Bower), dans une finale apocalyptiquement sobre, où les révélations fusent, comme le sang d’une gorge!!

Les tableaux graphiques qu’a créé Burton sont tout simplement magnifiques, mêlant le gris terne de Londres au rouge écarlate des victimes. La lumière est la musique des yeux et s’enfile avec grâce dans les morceaux chantés par les comédiens. D’ailleurs, jamais les chansons ne ralentiront le rythme du récit, car s’imbriquant à celui-ci et amenant le spectateur vers les confins noirs des protagonistes (ça paraît-tu que j’ai trippé??!!)

J’avoue humblement que je ne pouvais être totalement objectif à Sweeney Todd, car je suis un admirateur avoué du réalisateur. Mais je sais reconnaître lorsque Burton se fourvoie (lire la Planète des singes) et ce n’est pas du tout le cas ici. Sa rencontre avec l’œuvre du dramaturge Stephen Sondheim est une bénédiction pour le genre musical, car je suis le premier détracteur des comédies chantées. Généralement, ça mine le cours du récit et n’amène rien de plus aux spectateurs, sinon un divertissement inutilement « cute ». Mais lorsqu’on mélange des genres, comme dans Sweeney Todd, l’expérience est bénéfique. Les chansons sont noires, emplies de désarroi, de solitude, mais aussi d’espoir et d’amour et elles sont rendues par une distribution éclatante. Sondheim est un autre fou pour avoir concocté une pièce aussi sombre et dramatique et de l’avoir mis en chansons en 1979!!

La rencontre de ces deux mégalomanes donne de la grande mélomanie. Je suis (gaga) Extraordinaire! Merci, messieurs! 4/5 par François Gauthier cinemascope@deltar.net